Lorsque j’ai démarré chez SQLi, j’ai signé un contrat de travail de Consultant Ergonome Expert.
De même, souvent, quand je discute avec des clients, on m’appelle ergonome et on me parle de “l’ergonomie que j’ai faite”.
Pourtant, j’ai un aveu à te faire : je ne suis pas un ergonome.
Non pas que je n’applique pas des principes d’ergonomie dans mon activité de tous les jours: je sais comment les utiliser, et quelles sont les limites du nombre de Miller, des Lois de Hick et de Fitts, et des principes du Gestalt. Je sais utiliser les critères heuristiques de Scapin et Bastien, et je connais les grands biais à surveiller quand j’organise et que je facilite des tests utilisateurs.
Je ne suis pas un ergonome ; je suis un Designer d’eXpérience Utilisateur… et un Designer d’eXpérience Utilisateur n’est PAS un ergonome.
C’est un fait, l’ergonomie et les Designers sont souvent amalgamés dans le monde du Web, mais ils sont bien différents.
Faisons ensemble le chemin pour différencier l’Ergonomie et le Design d’eXpérience Utilisateur (que j’appellerais UX Design). Nous en profiterons d’ailleur pour démontrer ensemble que l’UX Design, quand il est bien appliqué, est plus à même de répondre aux besoins des utilisateurs ET du client qui me recrute.
De la définition d’ergonomie
Une des raisons (trop souvent rappelée par mes collègues ergonomes) qui me fait dire que je ne suis pas un ergonome, est que je ne n’ai pas fait ce parcours en BAC+5 qui délivre un diplôme d’ergonomie — condition si ne qua non pour pouvoir se dénommer Ergonome professionnellement parlant. Je rentre donc dans la catégorie des troubadours, comme le signale Raphaël. Selon la définition de la la SELF:
Les ergonomes contribuent à la conception et à l’évaluation des tâches, des produits, des conditions de travail et des systèmes pour les rendre compatibles avec les besoins, les capacités, les possibilités et les limites des êtres humains.
Le but de l’ergonomie est donc de rendre un outil Utilisable.
The User Experience Honeycomb — par Peter Morville
Pour se rendre compte des limitations de cette vision, il est nécessaire de se tourner vers les travaux de Peter Morville sur l’eXpérience Utilisateur.
Sa définition des qualités d’une bonne UX se résume en 7 attributs:
- Utile (Useful)
- Utilisable (Usable)
- Accessible (Accessible)
- Attractif (Desirable)
- Trouvable (Findable)
- Credible (Credible)
- “de valeur” (Valuable)
L’ergonomie se focalise majoritairement sur les attributs Utile, Utilisable et Accessible. Les bons designers d’UX engloble l’ensemble des attributs décrits par Peter Morville, particulièrement les aspects d’attractivité, de crédibilité et “de valeur”.
Pour faire une analogie (carricature) culinaire: L’ergonome créerait des cachets contenant tous les éléments nécessaires à une alimentation équilibrée, tandis que L’UXDesigner encouragerait la préparation de repas gustativement délicieux.
Démarche scientifique, ou logique abductive
Une autre différence entre l’ergonomie et l’UX Design est l’importance que chacun attache à la démonstration scientifique.
Comme on le voit dans la définition proposée par la SELF, L’ergonomie met un point d’honneur à signaler que ses méthodes sont scientifiques. L’élément scientifique a de nombreux avantages :
- Un ergonome délivre une preuve scientifique de tous les défauts ergonomiques.
- Ses clients ne peuvent pas réfuter que la solution qu’un ergonome propose est meilleure que la solution initiale.
- Le couvert scientifique lui donne une certaine légitimité.
Mais pour certains clients, l’utilisation d’une démarche scientifique est souvent incomprise et fait peur. La meilleure façon de les convaincre est tout simplement de montrer des utilisateurs se servir de leur app/site web/service.
Pour ces batailles, l’UX Designer est mieux armé (Définition d’ une Vision commune, atelier de co-creation) pour créer une solution qui obtiendra l’adhésion de l’ensemble des parties prenantes.
De l’IHM à l’expérience globale
L’ergonomie trouve ses racines dans la conception de l’IHM; c’est à dire de l’inteface créée, entre une machine et l’utilisateur lui-même.
Pour ce qui est de l’eXpérience Utilisateur, Marc définit, dans son article sur l’UX Design :
“Experience or User Experience is not about technology, industrial design, or interfaces. It is about creating a meaningful experience through a device.
(L’expérience utilisateur ne parle pas de technologie, de design industriel, ou d’interfaces. Il consiste à créer une expérience riche de sens, à travers un dispositif)
Certaines entreprises réussissent très bien à créer une expérience riche :
- Apple est un exemple incontournable, Où chaque minute de l’expérience d’achat, de l’ouverture d’un produit, de l’utilisation elle même. - L’entreprise Moo (impression de carte de visite) développe un concept particulièrement bien intégré, ou le créateur, est tenu par la main du début, jusqu’à la reception des cartes. - La chaine de Fast-Food In-n-Out en Californie démontre une autre Expérience utilisateur. Leur menu est le plus simple qui soit. Pourtant, ce restaurant est réputé pour la fraicheur de sa préparation (tout est préparé minute, lors de la commande, y compris la coupe des patattes). Et pour les “experts”, qui veulent quelque chose en plus, il existe un “ menu caché” incluant plus de 40 combinaisons.
Le menu de In-n-Out : 3 burgers, 1 portion de frites, 1 milkshake. Image de Flickr
Ces exemples ont en commun qu’ils dépassent le produit ( l’iPad, la carte de visite, le burger) pour s’étendre à l’ensemble de l’expérience qu’à un futur utilisateur avec ce produit.
Est-ce la responsabilité de l’UX Designer de concevoir ce genre d’expériences ? Pas necessairement. Mais il doit être moteur pour détecter ce genre d’opportunités et ouvrir le champ des possibilités.
Conception objective, ou impact émotionnel
L’UX Design recherche l’impact émotionnel tandis que l’ergonomie se focalise sur l’objectivité du service proposé.
Pour illustrer ce point, citons David Malouf (ex professeur de Design d’Interaction, une des discipline de l’UX Design au Savannah College of Art and Design), repris par Whitney Hess dans 10 most misconceptions about UX Design :
“While usability is important, its focus on efficiency and effectiveness seems to blur the other important factors in UX, which include learnability and visceral, and behavioral emotional responses to the products and the services we use.“
(Bien que l’ergonomie soit importante, son focus sur le rendement et l’efficacité semble cacher d’autres facteurs important dans l’UX, tels que l’apprentissage et des réponses viscérales émotionnelles et de comportement, pour les produits et outils que l’on utilise.)
En d’autres termes, Le design d’eXpérience Utilisateur cherche à créer une réponse émotionnelle chez l’utilisateur. Si l’on reprend la ruche de Peter Morville, et en s’appuyant sur la pyramide de Maslow on obtient le résultat suivant: l’ergonomie se focalisera sur l’utile, et l’utilisable, tandis que l’UX Design apportera une expérience appréciable et personnelle.
La pyramide des besoins de l’expérience utilisateur — Origine inconnue
Il est clair que l’utile et l’utilisable sont des besoins primaux. Sans cela, l’application / le site web / le service ne peut même pas être appréhendé par l’utilisateur. Mais une valeur différenciante de toute entreprise est d’aller plus loin et de créer une relation forte entre le logiciel et son utilisateur. La composante UX Design est alors la pierre angulaire d’un dispositif qui permet de générer des idées au-delà de l’utilisable et d’approcher cette relation personnelle entre le service et l’utilisateur.
Le mythe de l’UX uniquement pour les produits grands publics
Il est vrai qu’il est particulièrement important de faire cet effort pour des logiciels qui visent le grand public, car on fait souvent face à une compétition féroce et que l’eXpérience est un élément différenciant.
Mais de nos jours, cette richesse de l’eXpérience est recherchée pour les services et applications aux entreprises et aux employés : Un employé se sentira lié à une entreprise qui lui fournit des outils puissants et conçus pour lui. Et aucune compensation financière ne sera suffisante pour compenser de mauvais outils.
Créer un impact émotionnel ne veut pas dire faire une belle interface
Certains assimilent l’UX Design (souvent même l’ergonomie) à l’esthétique de l’application ou site web. Pourtant, si l’esthétique participe à la crédibilité de l’application, et oriente l’utilisateur sur le message donné, ce n’est pas la seule composante : Le ton utilisé (cf les travaux de mailchimp sur le ton utilisé dans leur communication), le layout global ou les interactions proposées ( le language gestuel de Clear) sont autant de possibilités de donner du caractère à une application, de manière totalement décorrélée de l’esthétique visuelle traditionnelle.
Oui l’esthétique d’une application est importante pour l’impact émotionnel. Mais celà n’est pas l’ensemble de la démarche d’UX Design.
Points communs, différences, et le futur de l’ergonomie
Les disciplines de l’expérience utilisateur par Dan Saffer
Quand on regarde comment certains ergonomes travaillent, on remarque que leur champ d’activité ne se limite pas aux activités telles que proposées par la définition de la SELF, et qu’ils dépassent l’évaluation des problèmes, pour proposer les solutions. Les ergonomes sont souvent obligés d’endosser le rôle de Designer d’eXpérience Utilisateur pour bien effectuer leur travail; De même, les UX Designers doivent toujours appliquer les pratiques et démarches d’ergonomie — sans ces pratiques, la solution fournie ne serait même pas utilisable. Il arrive même que sur un même projet, un ergonome et un UX Designer travaillent de concert.
Bref, Cet article se focalise majoritairement sur les différences entre Ergonome et UXD, mais ces 2 professions sont très proches. Pour bon nombre d’UX Designers, dont Dan Saffer dans son article The Disciplines of User Experience, l’ergonomie est entièrement englobée dans le métier d’UX Designer.
Mais nous y reviendrons lors d’un prochain article. Si j’insiste aujourd’hui sur ces différences, c’est pour bien démontrer que UX Designer et ergonome ne sont pas 2 professions interchangeables.
S’il n’y avait qu’une preuve à donner pour démontrer que l’évolution du métier d’ergonome au profit de celui de designer d’UX est inévitable, l’UPA (Usability Professionnal Association, dont l’antenne française s’appelle FLUPA) — communauté internationnale d’ergonomes — s’est renommée l’année dernière UXPA (User Experience professionnel association) …